Avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron, qui se veut pourtant l’ultime rempart contre « le chaos », aura contribué à semer le même « chaos », chez ses vrais-faux amis LR, principalement. Pourtant, certains fondamentaux politiques demeurent : la condamnation du Rassemblement national par les autorités religieuses.
Cette fatwa, les plus hautes autorités catholiques, juives et protestantes nous y avaient habitués dans le passé. Leurs homologues musulmanes ne sont pas en reste ; bel exemple d’assimilation à ces fameuses « valeurs républicaines », dira-t-on. Ainsi, Chems-eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris, remet à son tour une pièce dans ce juke-box en forme de moulin à prières.
Certes, il le fait avec un petit rien de jésuitisme – en ce domaine, les musulmans savent aussi être imbattables –, n’allant pas jusqu’à citer le mouvement présidé par Jordan Bardella, tout en déclarant, dans son sermon : « J’adresse un appel solennel à l’ensemble des mosquées affiliées à la Fédération de la grande mosquée de Paris et au-delà. Il est impératif de sensibiliser les fidèles sur les dangers imminents qui guettent notre nation et d’encourager ceux qui se sont réfugiés dans l’abstention à prendre part activement au choix de la société qu’ils souhaitent pour demain : une société fraternelle, égalitaire et bienveillante envers tous ses enfants. »
Bref, même le plus inculte du culte mahométan aura compris qu’il fallait faire barrage au Rassemblement national.
Mais est-ce aussi simple pour autant ?
Ce qu’a d’ailleurs bien compris Hanan ben Rhouma, l’une des rédactrices en chef de SaphirNews, l’un des sites les plus lus par nos compatriotes musulmans : « Devant la menace de l’extrême droite, les imams et responsables religieux musulmans doivent aussi se mobiliser. »
Après, est-ce aussi simple ? Il y a, certes, la question de ce fameux « vote musulman » qu’il n’est pas toujours aisé de mesurer. Parle-t-on des musulmans de Seine-Saint-Denis, des musulmans des villes ou de leurs coreligionnaires, ceux des champs ? Bref, ceux qui n’habitent pas forcément dans le 93 ? Les uns, vivant de longue date dans une ceinture rouge devenue de plus en plus verte, sont imprégnés d’une certaine culture de gauche clientéliste, à base d’assistanat. Les autres, ayant fui la France des cités et sa délinquance, ont souvent rejoint celle, plus paisible, des pavillons.
Alors, il vrai que le vote musulman, avec toutes les précautions d’usage, se serait monté, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, à 69 % pour Jean-Luc Mélenchon, à 14 % pour Emmanuel Macron et 7 % pour Marine Le Pen. Ce, à en croire un sondage IFOP commandé par La Croix. Les principales motivations de cet électorat ? Pour 52 %, « la lutte contre l’insécurité et la délinquance », tandis que 40 % entendaient se défendre contre « le terrorisme » et 28 % contre « l’immigration clandestine ». Des préoccupations qui ne sont donc pas fondamentalement éloignées de celles des autres Français. Comme quoi les musulmans ne sont pas forcément condamnés à « l’islamo-gauchisme » et peuvent aussi avoir des préoccupations autrement plus « droitières ».
Les inquiétudes du recteur de la grande mosquée de Paris…
Et pour les dernières élections européennes ? Un autre sondage IFOP, toujours commandé par le même quotidien catholique, nous révèle que ce même « vote musulman » en faveur de Jean-Luc Mélenchon serait tombé à 62 %. Une chute à mettre en regard avec celle subie par Renaissance, le parti présidentiel, qui passe de 14 % à 6 %, à égalité avec la liste menée par Jordan Bardella. Comme évoqué plus haut, tout cela est à prendre avec des pincettes, la manière de mesurer ce « vote musulman » étant des plus sujettes à caution.
D’ailleurs, le premier à avoir quelques doutes sur la question n’est autre que le même Chems-eddine Hafiz, qui confie, à l’occasion de ce message : « À travers mes propres contacts et observations, il apparaît que la proportion de musulmans ayant voté pour le Rassemblement national n’est guère éloignée de la moyenne nationale. Ce constat me laisse perplexe : dois-je m’en réjouir ou m’en alarmer ? » Vaste question, à laquelle il tente néanmoins d’apporter quelques réponses.
La première : « Les Français musulmans sont avant tout des citoyens français, sensibles aux mêmes enjeux sociaux, économiques et politiques que leurs compatriotes. Leur choix électoral se porte souvent vers le discours qui promet plus une France plus forte et plus stable, répondant ainsi aux aspirations universelles de sécurité et de prospérité. »
La seconde est relative à la souplesse politique et dialectique d’une Marine Le Pen qui, contrairement à son concurrent Éric Zemmour, persiste à estimer qu’on peut être à la fois pleinement français et musulman : « Ces élus, habiles et rusés, se montrent très à l’écoute des préoccupations des représentants du culte musulman, masquant ainsi leur véritable agenda sous des promesses séduisantes et des attentions superficielles. »
Là, c’est la pistache sur la corne de gazelle… Certains militants antimusulmans n’ont de cesse de dénoncer cette « taqîya », technique de dissimulation, historiquement née chez une minorité chiite désireuse de se protéger des persécutions sunnites. Et voilà qu’une éminente personnalité musulmane reprend cet éternel soupçon à son compte, mais à l’encontre de ceux qui l’accusent d’en user.
En d’autres termes, il y a de l’électricité dans l’air. C’est le Coran alternatif.
Nicolas Gauthier