Les commentateurs politiques vont bon train, dans la situation politique incertaine de la France. Beaucoup célèbrent le fait que la France rentre dans le champ de nombre de démocraties européennes gouvernées par des coalitions souvent longues à constituer. D’autres évoquent avec nostalgie, semble-t-il, la IIIe ou la IVe République et expliquent que, en fin de compte, le système fonctionnait. C’est oublier un peu vite que les régimes politiques obéissent à une logique institutionnelle propre.
Les exemples belge ou néerlandais n’ont rien à voir avec la situation française. Tout d’abord, ce sont des monarchies où la pérennité de l’État et son incarnation résident dans le souverain qui est indépendant des sautes d’humeur électorales et tient la cohérence du corps politique. Ensuite, le mode de gouvernement est parlementaire et possède donc des traditions et des usages en accord avec cette conception de l’exercice du pouvoir. Enfin, pour la Belgique, le pouvoir est extrêmement régionalisé.
Pour ce qui concerne les deux Républiques précédentes, le mode de scrutin pour les élections législatives fut différent de celui en vigueur aujourd’hui : scrutin proportionnel pour la IVe, proportionnel avec une forte prime majoritaire pour la IIIe à partir de 1919, scrutin uninominal en 1889 et, de 1885 à 1889, scrutin de liste majoritaire départemental. Tous les modes de scrutin ont donc été utilisés et aucun n’a garanti la stabilité politique. De Gaulle en tirait la conclusion qu’en fin de compte, ce qui importait était le cadre constitutionnel et non la mécanique électorale. Il considérait que la « monarchie républicaine » qu’il avait mise en place réalisait la synthèse entre la tradition royale et impériale et le régime d’assemblées. La question est de savoir si elle ne cumule pas les inconvénients des deux régimes sans en tirer les avantages respectifs.
Dans les deux précédentes Républiques, le président de la République n’était là que pour inaugurer les chrysanthèmes, à l’opposé des institutions de la Ve République. Et la fin de ces Républiques ne fait pas rêver. La réécriture fleurie de l’Histoire par les nostalgiques du parlementarisme semble bien dérisoire.
Pour connaître l’esprit même de nos institutions, rien de mieux que d’interroger ceux qui en furent les architectes. De Gaulle, dans son allocution du 20 septembre 1962, déclarait : « La clé de voûte de notre régime, c’est l’institution d’un président de la République désigné par la nation et le sentiment des Français pour être le chef de l’État et le guide de la France »… « Le Président est en effet garant de l’indépendance et de l’intégrité du pays »…
Devant le Conseil d’État, le 27 août 1958, Michel Debré avait déjà précisé : « Le président de la République doit être la clef de voûte de notre régime parlementaire »… « Le régime d’Assemblée […] est impraticable et dangereux »…
En pratique l’exact contraire de ce à quoi Macron nous a conduits. Loin d’être « le guide de la France », il a passé son temps à hystériser les débats politiques et sociétaux, à soulever des contestations violentes et à diviser les Français avec une sorte de mépris de classe insupportable. Quant à l’indépendance de la France, il l’a passée par pertes et profits, car il ne jure que par la prétendue « souveraineté européenne », évidemment antinomique de celle de la France. Tout cela pour aboutir à retrouver « le régime d’Assemblée impraticable et dangereux » nourri par des accords électoraux contre-nature. Bravo, l’artiste !
Stéphane Buffetaut