François Bayrou, nommé vendredi 13 décembre à Matignon après la censure de Michel Barnier le 4 décembre, a dû faire face au drame de Mayotte. Il n’a pas eu le flair qu’on attendait d’un extrême-centriste : il a curieusement choisi ce qui était d’évidence le mauvais cheval, pariant qu’un conseil municipal à Pau valait bien un cyclone dans l’Océan Indien. Les Français n’ont pas compris. La classe politique unanime non plus. Le Béarnais s’est à cette occasion fait le chantre de « la province » (sic), pourfendant la loi sur le non-cumul des mandats, sur laquelle il a promis de revenir, alors qu’il s’en était fait le chantre en 2012…
Lundi 16 décembre 2024, devant son Conseil municipal, le Premier ministre a crânement déclaré : « Il faut réenraciner les responsabilités politiques, dans les villages, les quartiers, les villes. On s’est trompés en rendant incompatibles les responsabilités locales et nationales, c’est une erreur (…) Pour les membres du gouvernement, c’est autorisé, pour les parlementaires, non. Je pense qu’il faut que ce débat soit repris », a-t-il indiqué. Oubliant qu’en 2012, à l’occasion d’un forum organisé par le magazine Elle à Sciences Po, le même Bayrou avait déclaré : « Pour les députés, interdiction absolue du cumul. On ne peut pas l’interdire pour les députés et l’accepter pour les membres du gouvernement. Donc je suis pour l’interdiction de l’exercice de tout mandat quand on est ministre ».
Le même jour, un reporter de Quotidien présent sur place l’a interpellé à ce sujet. « Vous avez toujours été un grand pourfendeur du non-cumul des mandats… », a-t-il lâché. Ce à quoi François Bayrou a répondu : « Ah non, jamais, jamais, jamais ! », enfonçant le clou : « Non, ce n’est pas vrai ! ». Mais finissant par concéder au journaliste qui donnait des références : « Euh… Peut-être. J’ai oublié ». Scène pathétique… Prémices d’Alzheimer ?
Tout commence par un bras de fer, vendredi, entre Emmanuel Macron et son allié historique. Le nom du maire de Pau est évoqué depuis plusieurs jours pour Matignon, sans confirmation officielle. Dans la matinée, Bayrou échange pendant deux heures avec le chef de l’Etat. Leur entretien « est très tendu » et d’autres pistes sont évoquées. François Bayrou raconte même avoir menacé le président de quitter le bloc présidentiel « à titre personnel » et de faire une conférence de presse dans la foulée, assure un député.
Ce qui n’empêche pas Bayrou de louer par la suite celui qui est son allié politique depuis 2017. « C’est un homme dont les gens ne se rendent peut-être pas compte de l’audace et du courage. Il n’y a rien de plus simple pour moi que de travailler avec lui », explique le nouveau chef du gouvernement dans un entretien à La Tribune, dans lequel il dément tout « affrontement » entre les deux têtes de l’exécutif. Les Français ne sont pas dupes. Les réseaux sociaux habillent l’élu palois pour l’hiver. Pour l’âne rouge (« Bayrou » en occitan), le compte à rebours a déjà commencé.
Dès le lendemain, le remplaçant de Michel Barnier reçoit le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ou encore le président du Sénat, Gérard Larcher. Mais l’actualité le rattrape, avec le cyclone Chido à Mayotte. L’archipel est très durement frappé, les premiers morts sont annoncés en début d’après-midi et une réunion de crise est annoncée pour la soirée. En conférence de presse, Bruno Retailleau dit craindre que le bilan humain ne « soit lourd », mais l’image que retiennent les télévisions et les réseaux sociaux reste la prise de congé précipitée de François Bayrou, qui s’éclipse pendant la prise de parole du ministre de l’Intérieur démissionnaire.
Sans assurance d’aboutir à un accord de non-censure, et donc de rester durablement à Matignon, François Bayrou entre dans le dur en recevant dès lundi les dirigeants des principaux partis. Y a-t-il une voie pour négocier des textes, voire pour faire entrer des figures d’ouverture au gouvernement ? Reçu en premier, le RN se dit « écouté » et salue une « méthode plus positive » qu’auparavant, mais le PS refuse de valider un « accord de non-censure », ce qui fragilise d’emblée le Premier ministre et sa future équipe.
En parallèle de ces consultations, une polémique commence à enfler dès le début d’après-midi. Le Premier ministre s’apprête à prendre un Falcon de la République pour assister, à 19 heures, au conseil municipal de Pau. Or, une heure plus tôt, se tient à Beauvau un conseil interministériel de crise sur la situation à Mayotte présidé par Emmanuel Macron. François Bayrou y assistera en visio depuis la préfecture, fait savoir son entourage, assurant que le Premier ministre a pris cet « engagement de longue date ».
L’opposition s’empresse de critiquer ce choix. « Le peuple français mérite mieux qu’un Premier ministre illégitime à mi-temps », dénonce sur X Clémence Guetté, vice-présidente LFI de l’Assemblée nationale. « Un choix incompréhensible » tâcle pour sa part Julien Odoul, porte-parole du RN. Rappelons qu’au second tour de la présidentielle de 2022 qui a opposé Marine Le Pen et Emmanuel Macron, les Mahorais ont largement mis la première en tête, par 60 % contre 40 %.
Malgré la polémique, François Bayrou est bien le soir même à Pau, où le conseil municipal est retransmis en direct sur les chaînes d’info. « On n’est pas là pour faire du show, monsieur Bayrou, tance l’élu d’opposition de la Gauche démocratique et sociale Tuncay Cilgi. La première question qui me vient, c’est qu’est-ce que vous faites là ? Vous n’êtes pas à votre place. Je considère que le fait que vous soyez venu ici est une faute politique. Votre première mission, c’est d’aller à Mayotte. »
Droit dans ses bottes, François Bayrou assure qu’il s’occupe de la situation sur l’archipel et qu’il continuera à être maire de Pau, arguant que « si vous abandonnez les responsabilités de la base, vous vous trouvez isolé et oublieux ». Il en profite au passage pour relancer le débat sur le non-cumul des mandats. « On s’est trompé en [rendant] incompatibles les responsabilités locales et nationales, c’est une erreur », assure-t-il. Là encore, les déclarations du Premier ministre interrogent, alors que le nouveau gouvernement n’est pas constitué et que la France n’a toujours pas de budget, sans compter Mayotte.
Questionné sur la formation du gouvernement, François Bayrou se fixe aussi comme « échéancier » la semaine en cours et ajoute, toujours depuis Pau, qu’« il faut aussi que le président de la République soit là ». Une référence aux déplacements du chef de l’Etat à Mayotte et à Bruxelles, prévus jeudi. La petite phrase est moyennement appréciée par l’Elysée, qui décide de prendre le Premier ministre au mot. « Nous sommes prêts », fait savoir mardi matin un proche du président, ajoutant qu’Emmanuel Macron attend les « propositions dans la foulée des consultations » du chef du gouvernement.
Le coup de grâce est donné sur Franceinfo par la présidente de l’Assemblée nationale, la macroniste Yaël Braun-Pivet qui s’en prend directement à François Bayrou : « J’aurais effectivement préféré que le Premier ministre, au lieu de prendre un avion pour Pau, prenne un avion pour Mamoudzou [chef-lieu de Mayotte] ». Un député macroniste résume : « C’est déjà la débandade. Entre Mayotte et le conseil municipal, comment est-ce possible ? Yaël Braun-Pivet qui tape. Le président qui ne l’aide pas… ».
François Bayrou, lui, continue d’enchaîner les rendez-vous à Matignon avec les groupes politiques. A gauche, on ne se gêne pas pour le critiquer. Le Premier ministre « n’a donné aucun élément sur la direction politique qu’il envisage de prendre. Il pave sa propre censure, tacle Cyrielle Châtelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée. « Nous avions face à nous un Premier ministre qui a plus parlé de Pau que de la France ».
A 15 heures, mardi, le locataire de Matignon se prête à un exercice inédit : il va répondre seul aux questions des députés, en l’absence de gouvernement. Sans surprise, l’opposition fustige son aller-retour à Pau. « Vous n’auriez pas dû vous rendre à Pau pour conserver un mandat », attaque la chef de file des députés LFI, Mathilde Panot. « Pau, c’est en France (…). Si j’avais été dans une mairie du 7e arrondissement, ou la mairie de Neuilly, vous auriez considéré que c’était très bien », lui répond François Bayrou, dénonçant « une rupture entre la vie de la province et le cercle des pouvoirs à Paris ».
Le patron du MoDem commet une nouvelle maladresse en déclarant qu’« il n’est pas d’usage que le Premier ministre et le président de la République quittent en même temps le territoire national ». Une sortie aussitôt moquée par ses opposants, qui n’ont pas manqué de rappeler que Mayotte est un département français… A la sortie de l’hémicycle, les députés sont sidérés. « C’était catastrophique, on s’attendait à ce qu’il prépare un peu mieux l’exercice », déplore l’un d’eux.
Alors qu’il n’a même pas constitué son gouvernement, le locataire de Matignon est déjà démonétisé. 34 % des Français marquent déjà leur défiance à son encontre, le score le plus important jamais enregistré par un Premier ministre « débutant ». Macron a déjà utilisé un fusible : Michel Barnier. Il ne pourra pas indéfiniment en griller. Se trouve désormais posée l’éventualité de sa démission. Marine Le Pen, favorite des Français dans la course à l’Élysée, et qui a déclaré s’être préparée à une présidentielle anticipée, est en embuscade…
Henri Dubost