Habitants du village de M'Chounèche, soldats français et combattants musulmans dans les Aurès quelques jours après les attentats du 1er novembre 1954. ©AFP - Bourcier
Dans la nuit du 31 octobre au 1ᵉʳ novembre 1954, des nationalistes algériens lancent une série d'attentats en Algérie. Cet événement, connu sous le nom de "Toussaint Rouge", marque la première apparition du Front de libération nationale (FLN) et plonge le pays dans la guerre d’indépendance.
Toussaint Rouge, au commencement de la guerre d'indépendance algérienne. Dans son édition du 2 novembre 1954, le journal Le Monde évoque "La Toussaint à Paris". Journées de la Toussaint, journées du souvenir... Dès que les portes des nécropoles furent ouvertes on vit d'interminables cortèges de visiteurs s'avancer, les bras chargés de fleurs, le long des allées bien ratissées, entre les cyprès, les ifs et les tombes, cependant que, poussées par le premier vent de novembre, tourbillonnaient les feuilles mortes. Dans le journal Le Monde, d'autres victimes sont évoquées...
Définir la "guerre" d’Algérie
En France, l'expression "guerre d'Algérie" n'est officiellement reconnue que depuis la loi du 16 octobre 1999. À l’inverse, en Algérie, les organisateurs du soulèvement parlent dès 1954 de "guerre de libération nationale", source de légitimité pour l'État algérien. Entre 1954 et 1962, le terme de "guerre" est banni et remplacé par "opérations de maintien de l'ordre". Après 1962, ce tabou persiste, reflet d'une volonté d'amnésie.
La Toussaint Rouge, début du conflit ?
Au lendemain des attentats du 1ᵉʳ novembre 1954, les populations algériennes et françaises comptent leurs morts. Au total, ce sont près de soixante-dix attentats dispersés sur une trentaine de points du territoire algérien, qui visent à saboter des installations névralgiques et à attaquer des casernes pour y récupérer des armes. Ces attentats, qui doivent épargner les civils, font huit morts, dont un instituteur français, Guy Monnerot.
La réaction est immédiate : le gouvernement de Pierre Mendès-France organise une répression contre-terroriste dite de "remise en ordre intérieure". La Toussaint Rouge est perçue comme le point de départ d'un conflit armé majeur. Elle constitue un tournant décisif puisqu’elle catalyse la lutte pour l'indépendance algérienne, et qu’elle met en lumière les violences du colonialisme, les aspirations à l’autodétermination et les questions complexes d'identité nationale.
“Le 3 avril 1955 [est proclamée] la loi d'état d'urgence, qui est une loi de pouvoirs spéciaux pour 'rétablir l'ordre en Algérie', dans le langage politique français. L'état d'urgence [est] déclaré par décret dans les zones du territoire algérien les plus engagées dans la lutte pour l'indépendance. Cela signifie du point de vue des contemporains, et en tout cas du gouvernement français, l'espoir de pouvoir étouffer [les affrontements] qui débutent" ajoute l'historienne Sylvie Thénault. "Le point de non-retour est l'insurrection du 20 août 1955. Dans le Nord-Constantinois, Zighoud Youcef, le chef local de l'Armée de libération nationale, appelle les paysans du Constantinois à l'insurrection. La presse française se fera l'écho des massacres d'Européens et une répression décuplée se déploie.”
Bataille d’Alger, FLN et conflits armés
Le Front de libération nationale (FLN), dès sa création, est marqué par des tiraillements entre des militants aux cultures politiques et conceptions divergentes, souvent séparés par des conflits anciens. Socialement, il reflète la société algérienne, c’est pourquoi il s’impose rapidement comme le principal moteur de la revendication d’indépendance algérienne.
“Les fondateurs du FLN, et les forces qui commettent les attentats dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, ne sont pas très nombreux [...] Le matin du 1er novembre, un tract est diffusé. La proclamation fixe d'emblée l'objectif de l'indépendance et les fondateurs du FLN appellent tous les nationalistes à les rejoindre" explique Sylvie Thénault, autrice des Ratonnades d’Alger, 1956. Une histoire de racisme colonial (Seuil, 2022). "Les maquis grossissent même si Messali Hadj, de son côté, refuse le Front de Libération Nationale et crée le Mouvement National Algérien. Il voit dans cette Toussaint Rouge une forme de coup d'État contre sa personne [car] il considère qu'il est le chef historique et le leader légitime de la revendication d'indépendance.”
Quand éclate la bataille d’Alger le 7 janvier 1957, l'armée française tente de juguler le terrorisme du FLN à Alger en démantelant ses réseaux et en menant une répression massive. Le FLN répond par une série d'attentats, ciblant des lieux fréquentés par des Européens. La bataille d'Alger se termine par une victoire militaire de l'armée française, mais s'accompagne d'un usage massif de la torture, suscitant de vives protestations. L'escalade de la violence, entre terrorisme et torture, entraîne une radicalisation communautaire, rendant toute recherche de compromis impossible. Cette répression intense demeure synonyme de terreur pour les Algériens et Algériennes.
Les Accords d’Évian, vers une résolution du conflit armé ?
Le temps des négociations est précipité par le passage à la Quatrième République en mai 1958. Charles de Gaulle, d’abord perçu comme l’homme providentiel capable de conserver l’Algérie française, est pourtant le premier responsable politique français à envisager l’indépendance. Le 16 septembre 1959, de Gaulle annonce l’autodétermination et organise pour se faire une consultation proposant aux Algériens la "francisation", "le gouvernement des Algériens par les Algériens" ou "la sécession". Cette annonce marque un tournant dans la guerre.
Pourtant, la violence des conflits est encore loin d’être terminée. Les Accords d’Évian sont signés trois ans plus tard, le 18 mars 1962, et appliqués le lendemain à midi. Là encore, les tensions restent vives, et l’OAS (Organisation de l'Armée Secrète) se lance dans la politique de la "terre brûlée", créant ainsi une atmosphère de guerre civile.
Aujourd’hui, la guerre d’indépendance algérienne suscite encore de vives réactions et se trouve plongée au cœur d’une "guerre des mémoires". Les ambitions commémoratives, entamées depuis les années 2000, répondent à une politique mémorielle nouvelle dans le champ politique français, et le travail des historiens est plus que jamais essentiel.
Sylvie Thénault
Sylvie Thénault est historienne, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la colonisation française en Algérie et de la Guerre d'indépendance algérienne.