Depuis le 7 octobre et le massacre perpétré par le Hamas en Israël, l’actualité du Proche-Orient ravive les lignes de fracture de la société française. Une situation à laquelle certains élus de droite et de gauche ne sont étrangers, après des décennies de clientélisme politique.
« C’est un mouvement de résistance qui se définit comme tel. » La désormais célèbre définition du Hamas par la députée de La France Insoumise Danièle Onobo a beaucoup fait parler d’elle, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dégainant aussitôt une riposte judiciaire en saisissant le procureur de la République « pour apologie du terrorisme ». Si l’extrême-gauche et la gauche françaises ont habitué les observateurs à certaines dérives clientélistes, la droite et le centre ne sont pas en reste. Tant à l’échelon national que dans la vie municipale.
Gauche et extrême-gauche en tête de pont
Sur l’échiquier politique, les partis de gauche ne lésinent pas sur les moyens pour se faire bien voir des électeurs de la communauté musulmane. Et ce depuis longtemps, et avec des appels du pied de plus en plus francs. Au début des années 2000, une appellation apparaît même sous la plume du chercheur du CNRS Pierre-André Taguieff : « islamo-gauchiste ». Depuis, elle s’est imposée dans le débat public, souvent accolée aux partis de gauche radicale et d’extrême-gauche comme La France Insoumise (LFI) et le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Ce néologisme est clair : il tend à souligner les collusions entre les mouvances islamistes et cette gauche en quête d’électorat et qui espère mobiliser dans les banlieues : « La grande majorité de l’électorat musulman des “quartiers” notamment est imprégné par l’idéologie islamiste qui les “désavoue” de la France, de ses institutions, de sa culture et de sa langue, mais qui réactive aussi une judéophobie musulmane traditionnelle, explique la philosophe et politologue Renée Fregosi. Pour séduire cet électorat, il s’agit donc de partager les éléments principaux de la vision islamiste. Mais il ne faut pas croire que ceux qui le font à gauche s’alignent sur les positions islamistes uniquement par cynisme électoraliste. Un part de “sincérité”, c’est-à-dire de conviction, entre également dans ce positionnement. » Sincère ou non, la gauche drague les voix en banlieue. Quitte à perdre son identité laïque traditionnelle.
Cette stratégie portera-t-elle ses fruits lors des prochains scrutins ? Pas sûr, mais cela n’empêche pas La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon de creuser ce sillon. Quand Mathilde Panot, la cheffe de file LFI à l’Assemblée, tance le gouvernement lors de la polémique sur l’abaya à la rentrée 2023, elle ne fait que lancer des clins d’œil à ce même électorat potentiel. « À qui s’adresse cette apostrophe ? s’interroge le magazine Marianne. Très probablement aux militants intersectionnels de tous les pays ou aux ONG pour qui le modèle laïc français a tout d’une aberration historique. L’élue de la République ne peut toutefois ignorer que cette sortie ressemble, aussi et surtout, à un contenu livré clé en main à des réseaux islamistes qui font de notre pays l’un des ennemis jurés de l’islam. Qu’il est loin, le temps où Jean-Luc Mélenchon affirmait, en intransigeant militant laïcard, que porter le voile revenait à “s’infliger un stigmate” ! » Désormais, tous les bois de chauffe sont bons à prendre.
Et à gauche, tout le monde s’y met. À Montreuil, dans la « ceinture rouge » de Paris, le maire communiste Patrice Bessac twittait en mars dernier : « Bientôt une Mosquée sera construite dans le bas-Montreuil : alors bon ramadan ! ». Les écologistes ne sont pas en reste, que ce soit à Lyon avec Grégory Doucet ou avec Éric Piolle à Grenoble qui mettent en scène leur soutien aux associations musulmanes, sans y regarder de plus près. Des positions qui font bondir l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, auteure du livre Le Frérisme et ses réseaux (éd. Odile Jacob, qui ne cesse de pointer du point les accointances des maires de gauche avec les thèses des Frères musulmans.
À droite et au centre aussi, on drague les islamistes
Et oui, la droite aussi n’est pas exempte de tout reproche. Certaines affaires locales empoisonnent les directions nationales des grands partis. Dernier exemple en date : le maire Les Républicains (LR) de Valence, Nicolas Daragon, accusé d’avoir autorisé un projet de construction pour un collège musulman, par pur clientélisme. L’affaire était sortie dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Au conseil municipal de Valence, les élus d’opposition socialistes et écologistes crient au scandale. Florent Méjan (PS) déplore alors que « la majorité fait un cadeau à l’école avec ce terrain, c’est très communautariste ». Comble de l’ironie donc, la gauche s’offusque. Face à la pression médiatique locale, le maire et la préfète ont finalement fait machine arrière et ont suspendu le dossier, avant de se faire attaquer en justice par l’association musulmane Valeurs et Réussites, conceptrice du projet.
À droite, le clientélisme islamiste fait en effet partie des cartes à jouer. Le spécialiste du genre restera pour longtemps Serge Dassault (LR), maire de Corbeil-Essonnes de 1995 à 2009 et sénateur de l’Essonne de 2004 à 2017. Dassault sera finalement condamné en 2022 – en même temps que plusieurs membres de son entourage – pour « achats de vote », « complicité de financement illicite de campagne électorale » et « financement de campagne électorale en dépassement du plafond autorisé ». En 2020, la mairie de Corbeil a finalement changé de bord. Le maire actuel, Bruno Piriou (divers gauche) ne cache pas son dégoût : « Quand le but n’est pas de développer un territoire mais de faire du clientélisme, de ne répondre qu’à des intérêts particuliers (on a parlé de système mafieux quand même !), on a une ville abîmée jusque dans son fonctionnement administratif. » Et Corbeil n’est pas la seule municipalité de droite concernée.
Dans le département de l’Essonne toujours, un autre élu empile les mandats sans que personne ne lui demande des comptes sur sa tendance à fermer les yeux sur l’islamisme rampant : Vincent Delahaye (UDI), maire de Massy de 1995 à 2017 et sénateur depuis 2011. Dans l’incapacité de cumuler les mandats, le sénateur a laissé la mairie de Massy à son protégé Nicolas Samsoen, mais garde un œil sur les affaires qu’il connaît mieux que quiconque. Car Massy est son bastion. Alors maire, Delahaye avait transformé sa ville en îlot communautaire, basant ainsi sa stratégie électorale. Une triste réussite, mandat après mandat, à en croire l’une de ses opposantes au scrutin municipal, Hella Kribi-Romdhane fustigeant alors « le rejet de la politique gouvernementale et un système de clientélisme que monsieur le maire a mis en place à Massy ». Ce que certains appellent pudiquement les politiques d’accommodement.
La nouvelle cinquième colonne
Avec l’actualité sanglante du Proche-Orient et les divisions béantes au sein du paysage politique français, nul doute que les clivages communautaristes vont se renforcer. Les prochaines échéances majeures – européennes en 2024, municipales en 2026 et présidentielle en 2027 – se joueront probablement sur ces paramètres que certains maires manient avec dextérité. « Plusieurs décennies d’arrangements déraisonnables, de clientélisme politique, de lâcheté, de faiblesse, d’aveuglement, de prise en otage victimaire des musulmans de France, devant les offensives de l’islam politique, ont mis en danger le vivre ensemble, les principes fondamentaux de la République, et au-delà, de toute société sécularisée, déplore l’éditorialise Michel Taube. […] Le mal est déjà profond : université, école, médias, milieux culturels et sportifs, grandes entreprises, et même au sein de la justice, de la police ou de l’armée, l’islamisme radical est à la manœuvre. » Si le clientélisme électoraliste et communautaire reste en ligne de mire du législateur, comme le montre la commission d’enquête de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR) sur le clientélisme électoral, la République devrait montrer davantage les muscles pour combattre cette nouvelle cinquième colonne.
Luc Montel