La nouvelle menace de Moscou : armes nucléaires tactiques ou stratégiques ?

GUERRE EN UKRAINE

La Russie a une nouvelle fois agité la menace ultime en annonçant des exercices « d’armes nucléaires non stratégiques »

L'essentiel

La Russie a annoncé lundi la tenue prochaine d’exercices nucléaires près de l’Ukraine.

Les exercices annoncés doivent permettre à l’armée russe de « s’entraîner à la préparation et à l’utilisation d’armes nucléaires non stratégiques ».

De quoi parle-t-on ? Quelle est la puissance de ces armes ? Quels sont les risques réels de leur utilisation ? Réponses avec Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste.

Kremlin - Moscou | Russie

C'est le signe que le discours d’Emmanuel Macron a fait mouche, remarquent les observateurs de la guerre en UkraineVladimir Poutine brandit, pour la énième fois depuis le début de son « opération spéciale » lancée le 24 février 2022, la menace nucléaire. En réponse « aux menaces » de dirigeants occidentaux envers Moscou, selon le ministère de la Défense, et notamment l’idée évoquée par le président français d’envoyer des troupes en soutien à Kiev, le président russe a ordonné la tenue d’exercices nucléaires « dans un futur proche ».

« Une série de mesures seront prises pour s’entraîner à la préparation et à l’utilisation d’armes nucléaires non stratégiques », a ajouté le ministère de la Défense dans un communiqué. Ces armes, également appelées armes nucléaires tactiques, sont conçues pour être utilisées sur le champ de bataille et peuvent être lancées par missiles. Quelles différences avec les armes nucléaires stratégiques ? 20 Minutes fait le point.

De quoi parle-t-on ?

C’est donc une nouvelle menace nucléaire qui a été brandie par le Kremlin lundi. Ces armes nucléaires dites tactiques ou non stratégiques, « concernent les armes nucléaires, de relativement faible puissance, au minimum l’équivalent de quelques milliers de tonnes d’explosifs, et de relative courte portée », quelques centaines de kilomètres, explique à 20 Minutes Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste. Ainsi, « la différence entre ce qu’on appelle non stratégiques et stratégiques, c’est notamment une question de portée et de puissance », note encore le spécialiste.

Concrètement, il s’agit de missiles actuellement utilisés pour frapper conventionnellement l’Ukraine, comme les missiles Iskander, mais dotés de têtes nucléaires. La portée d’un missile Iskander est d’environ 500 km, selon Le Figaro. « Les armes déployées pour cet exercice sont annoncées dans le secteur sud, le Caucase, donc dans les faits ça ne pourrait frapper que l’Ukraine », analyse Michel Goya.

A noter que l’appellation d’armes « non stratégique » ou « tactique » est un abus de langage. En réalité, il est davantage question d’une arme très stratégique ou pas stratégique pour qualifier respectivement la plus puissante ou la moins puissante des armes nucléaires car « ce ne sont pas des missiles tactiques, cela voudrait dire qu’on les utilise pour gagner une bataille, c’est du niveau stratégique, pour changer le cours de la guerre », développe Michel Goya.

Pour quels dégâts ?

Même s’il s’agit des armes nucléaires les moins puissantes, elles restent nucléaires avec une capacité de destruction à peu près équivalente à celle envoyée sur Hiroshima le 6 août 1945. Elles représentent plusieurs milliers de tonnes d’explosifs. Pour se faire une idée : « Le même missile équipé conventionnellement représente une demi-tonne d’explosifs, donc employer une seule de ces armes nucléaires, c’est comme si on prenait les milliers de missiles tirés par les Russes depuis le début de la guerre et les lançait sur un même endroit, illustre Michel Goya. C’est relativement destructeur. »

Dans le détail, les armes les moins puissantes sont atomiques, elles utilisent l’énergie de la fission, alors que les plus puissantes sont thermonucléaires et utilisent l’énergie de la fusion. « Les plus puissantes sont capables de ravager Paris ou inversement de détruire complètement Moscou », souligne le spécialiste.

Quel réel risque d’une utilisation en Ukraine ?

Comme il est clairement indiqué dans la déclaration russe, ces exercices sont une réponse directe aux récentes déclarations des Européens David Cameron et Emmanuel Macron. Leur posture est perçue du côté russe comme une escalade, alors les Russes entendent « couper court à cette escalade en escaladant eux-mêmes par une démonstration de force, en faisant peur », analyse Michel Goya. Et d’avancer : « on est dans du poker mais il ne se passera rien. »

L’arme nucléaire n’est en effet pas une arme comme les autres. Son utilisation « briserait un tabou et susciterait l’indignation internationale », explique l’ancien colonel des troupes de marine. Seuls deux cas de figure pourraient présenter une opportunité de franchir cette ligne rouge : « en hypothèse de dernier recours en cas de grande difficulté, si le front s’effondre, si l’armée russe s’effondre », mais « actuellement ce n’est pas du tout le cas », selon Michel Goya. Autre éventualité : Si les Russes veulent imposer la paix à tout prix dans une situation bloquée sur le front, ils pourraient faire un tir de démonstration pour faire peur et forcer tout le monde à négocier.

Cécile De Sèze

 

Date de dernière mise à jour : 07/05/2024

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