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Le souffle féministe contre la polygamie

La polygamie telle que pratiquée au Sénégal est une violence faites aux femmes et aux enfants. Elle déstabilise la famille et baisse leur qualité de vie surtout celle de la première femme, seul l’homme en tire profit. - ENTRETIEN AVEC AWA SECK

Awa Seck se revendique féministe radicale et s'oppose farouchement à la polygamie, une pratique encore répandue au Sénégal. Dans cet entretien avec Seneweb, elle dénonce les dérives de cette tradition et milite pour une réforme du Code de la Famille au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes. Ses propos fustigent un système patriarcal injuste et appellent à une prise de conscience collective.

La polygamie, une pratique combattue autrefois par les féministes est en vogue au Sénégal. On voit de plus en plus, la nouvelle génération particulièrement les jeunes femmes instruites accepter les ménages polygames. Quelle lecture avez-vous par rapport à cette situation ?

La polygamie est la possibilité pour un homme, faire le choix, d’épouser plusieurs femmes si les conditions sont réunies, ce qui rare, pour ne pas dire impossible car aucun homme ne peut les remplir. À la base, la polygamie est annoncée seulement dans la sourate 4, An-Nisa au verset 3 qui parle des orphelins.

“ Il vous est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas justes avec celles-ci, alors une seule... Cela, afin de ne pas faire d'injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille) c’est pour vous le moyen d'être aussi équitables que possible »

En islam, il est donc permis à l’homme d’épouser deux, trois ou quatre sous certaines conditions qu’il est bon de rappeler : concerter sa femme ; des revenus suffisants pour entretenir ses foyers ; les capacités physiques pour satisfaire sexuellement toutes les femmes; la maturité émotionnelle pour assurer l’équilibre des foyers; il n’est pas permis d’habiter avec ses épouses dans une seule maison sauf si elles sont d’accord ; l’équité

Aucun homme sénégalais ne les respecte !

Effectivement quand on parle de féminisme et de polygamie, les féministes ont toujours combattu et dénoncé l’horreur que vivent les femmes dans ces foyers.

On doit citer Mariama Bâ, féministe, qui dénonce l’horrible condition de la femme dans le mariage polygame et la place qui lui est réservée - ou pas - dans notre société.

Dans son célèbre son œuvre « Une si longue lettre » étudiée dans toutes les universités du monde, elle décrit si bien cette pratique contraire aux principes de l’islam : équité – égalité – justice.

Pionnière du féminisme décolonial au Sénégal, la génération des femmes nées dans les années 1920 comme nos mamans et grands-mères Awa Thiam, Caroline Faye, Marie Angélique Savané pour ne pas les citer a farouchement dénoncé et combattu la polygamie au Sénégal qui est une injustice et une violence.

Il est primordial de noter que ce n’était pas seulement les féministes qui s’opposaient à la polygamie telle que vécue par les femmes mais aussi nos aïeules qui l’acceptaient par contrainte (mariage forcé ou arrangé).

La nouvelle génération de femme, elle, choisit ce statut avec une autre forme de contrainte sociale (stigmatisation du célibat).

Malheureusement la polygamie est devenue une mode au Sénégal. En effet dans une société contemporaine où le mariage est vu comme une fin en soi pour les femmes et un choix pour les hommes, la polygamie est une option pour les femmes qui veulent coûte que coûte se marier pour répondre aux attentes de la société qui leur assène « taaru jigeen seuy » (la beauté de la femme réside dans le mariage). Peu importe ce qu’accomplit une femme : elle ne représente rien sans le mariage.

L’homme sénégalais qui est un éternel attentiste pour qui on doit tout faire devient une charge pour les femmes. Alors certaines choisissent plutôt un mariage polygame que le célibat. Elles partagent la charge que représente le mari. En réalité, les femmes utilisent, pour les plus aisées financièrement, les hommes contrairement à ce qu’ils peuvent penser. 

En tant que féministe, est-ce que vous n'avez pas failli dans votre lutte contre la polygamie, si on voit aujourd'hui qu'elle est à la mode?

Pas du tout ! La lutte féministe est la lutte pour l’égalité homme-femme, de permettre à chaque femme d’être instruite pour éviter les mariages forcés, travailler pour s’assurer une liberté financière, choisir dans quel type de ménage vivre. Nous l’avons réussi parce que comme vous dites les femmes la choisissent même si la polygamie en soi est une discrimination envers la femme et ils n’y gagneront jamais.

Les femmes sénégalaises affirment partout qu’elles préfèrent être deuxième ou même troisième que d’être la première. C’est un choix motivé par des raisons bien tristes parce qu’en islam le mariage est le lieu où doivent s’épanouir deux êtres pour construire un bel avenir ensemble, un projet commun.

Vu que beaucoup d’hommes en monogamie sont infidèles, et qu’en polygamie la plupart abandonne la première femme soit totalement, émotionnellement ou sexuellement, les femmes modernes veulent être deuxième ou troisième pour ne pas faire les sacrifices faites par la première épouse.

La première femme bâtit les bases du couple et souvent galère, sacrifie études et carrières pour le mari au début du mariage. Mais dès que ce dernier a une position financière assez stable, il prend une autre femme qui elle, ne connaitra que l’aisance et les paillettes.

En revanche il est dommage de voir toutes ces femmes éduquées qui n’ont pas besoin d’être financièrement entretenues par un mari qui à cause de la pression sociale, choisir la polygamie.

La polygamie telle que pratiquée au Sénégal est une violence faites aux femmes et aux enfants. Elle déstabilise la famille et baisse leur qualité de vie surtout celle de la première femme, seul l’homme en tire profit.

Nous luttons contre les violences faites aux femmes tant que l’homme sénégalais ne respectera pas le seul verset qu’il connaît par cœur tout en ignorant ses devoirs d’époux, de père, les féministes continueront à lutter contre la polygamie.

Personnellement, vous êtes pour ou contre la polygamie ?

Je suis contre la polygamie qui est un choix sous condition et non une obligation. Si en islam l’homme peut épouser jusqu’à quatre femmes, il me donne aussi le droit de refuser la polygamie. L’islam est juste, il a libéré la femme et la vie du Prophète (PSL), seul modèle pour l’homme musulman est un exemple. Je considère qu’aucun homme ne vaut la peine qu’on se batte pour lui et rivaliser entre femmes. Je mérite mieux et plus. Je considère mon mari comme mon égal devant Dieu et en tant que tel j’ai le droit de refuser. Goru jeukeunte laniu wax, je suis jigenu jeukeunte

Au delà je trouve la polygamie malsaine, elle cause l’éclatement de la famille, l’épuisement émotionnel. L’imam Chaf’i et d’autres ont dit que la monogamie est meilleure, car elle est plus proche pour l’homme de l’équité. Être équitable est une chose très difficile pour l’homme et donc prendre plusieurs femmes est une porte dangereuse pour lui et sa famille.

Certains maris finissent par devenir agressifs et violents à l’endroit de certaines épouses et de leurs enfants (souvent la première), la dernière, étant la favorite-chouchoutée (ne dit-on pas niarel xaritu jeukeureum ?).

Tous les enfants issus de ménages polygames ont vu leurs vies déstabilisées, leurs mamans changer et pas en bien, la rivalité s’installer même si on veut nous faire croire le contraire.

Serigne Cheikh Al Makhtoum, mon guide spirituel rappelait lors de sa conférence du Mawlid 2007 que « polygamie ada la du dine. Yallah couple la créer ». Dieu a créé le couple partout dans le Livre Saint quand Il parle de nous Il précise : le couple.

La polygamie est une sunna destinée à créer un cadre pour les orphelins et certaines femmes. Les hommes sénégalais s’abritent derrière des justifications religieuses, en évoquant le seul verset du coran et le seul qu’ils connaissent bien, le seul qu’ils ne respectent pas et s’en réclament pour légitimer la façon dont ils traitent les femmes et les enfants sans en avoir les capacités. C’est une violation flagrante de la loi islamique !

Qu'est ce qui fait selon vous que la nouvelle génération précisément les femmes instruites acceptent de jouer le second rôle dans les foyers?

Le patriarcat a su manipuler la polygamie pour la normaliser. D’abord on nous disait qu’il y avait plus d’hommes que de femmes, alors que le dernier recensement a montré le contraire. Il a su faire porter aux femmes le combat en leur faisant croire que le mariage est nécessaire et que les hommes ne se marient plus à cause de la pénurie de mâles et qu’elles doivent accepter la polygamie.  Notons que dans son dernier rapport qui date de 2023, L’ANSD (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie) précise que 45% des mariages polygames sont plus pauvres que ceux monogames.

En réalité la polygamie empêche les jeunes hommes en âge de se marier d’épouser les femmes de leur génération, ils n’ont pas accès à ces femmes qui cherchent des hommes déjà établis, stables financièrement qui sont souvent plus âgés.

Les femmes en âge de se marier ne sont pas nombreuses, les hommes marient de très jeunes femmes et filles qui doivent encore rester à l’école qui plus tard deviendront une force économique. Malheureusement elles se retrouvent dans un foyer en train de faire la concurrence entre femmes.

Les hommes les manipulent pour tirer le meilleur de chacune.

D’un autre côté la polygamie facilite aux femmes veuves et divorcées de se marier parce qu’au Sénégal un homme divorcé avec des enfants peut épouser une fille jamais mariée mais une femme divorcée avec enfants ne doit pas. Pour ces dernières, c'est le seul moyen de refaire une vie de couple.

Le prophète Mohamed, PSL, est resté monogame pendant 25 ans et tous ses mariages qui ont suivi étaient tactiques, des alliances matrimoniales, raffermir les liens entre communautés rivales, royaumes. Aîsha a été la seule femme jamais mariée d’où la Sunna.

La pression sur les femmes vient de tous bords.

Polygamie avant et aujourd’hui ? Y a-t-il une révolution ou un changement de mentalité selon vous ?

Il n’y a aucune révolution à être dans un mariage polygame, cependant les femmes, en la subissant essaient de la rendre plus supportable grâce à leur indépendance financière. Le mari n’étant là que pour satisfaire leurs besoins sexuels, ce dernier a souvent montré sa préférence pour la nouvelle. D’ailleurs la awo est dite awo yaay. Elle n’est plus vue comme amante, partenaire sexuelle mais une mère pour son mari, et une sœur pour sa coépouse, pratique contraire à l’islam.

Pour un homme qui craint Dieu la pratique de la polygamie va devenir particulièrement difficile de nos jours pour des raisons économiques.

Avant elle était un avantage sociopolitique. Elle représente un apport économique, car la femme, par son travail, contribue à l'entretien du ménage. Dans la plupart des ménages polygames chaque femme prend en charge son foyer.

Une épouse peut parfois individuellement bénéficier, par son travail ou l’aide de sa parenté, de conditions de vie supérieures à celles d’autres noyaux du ménage.

En milieu rural, la première épouse allait jusqu’à proposer une seconde épouse à son mari pour alléger les charges du foyer.

Les femmes s’investissent au quotidien dans les travaux des champs pour subvenir aux charges de leur ménage. Le partage des tâches domestiques entre les coépouses est nécessaire et recherché par les femmes.

La polygamie permet à l’homme de faire proliférer sa descendance pour avoir une main-d’œuvre plus importante et d’espérer une prise en charge par ses enfants durant la vieillesse. Cela n’est plus possible aujourd’hui.

L’homme entretenu par ses femmes à la vieillesse prenait une jeune épouse qui a souvent l’âge de ses enfants pour s’occuper de lui. On les appelle les gardes malades car souvent elle se retrouvait jeune veuve. La jalousie y est très violente, les femmes exerçant des violences jusqu'au crimes sur les coépouses ou leurs enfants. Tous les jours ce genre de faits divers sont exposés. Cela fait légion dans  ma région plus particulièrement à Touba. La redistribution inégale des ressources en est la cause, la femme qui a la chance d’avoir un travail ou l’aide de sa famille a de meilleures conditions de vie, les enfants de la coépouse sont témoins de tout cela.

La polygamie se maintient, la faiblesse des ressources financières ne constitue pas en soi un handicap pour les hommes à devenir polygame jusqu’à dire « duma tak cas social ». Les hommes sont plus matérialistes que les femmes. Ils cherchent une femme pour les entretenir parce qu’il est impossible d’avoir un travail, payer l’éducation des enfants qui est privée et subvenir aux besoins matériels de toutes les femmes.

Chez nous, la norme islamique est souvent bafouée par les hommes et avec légèreté.

Les hommes polygames peinent à satisfaire les besoins affectifs, matériels de leurs épousent et de leurs enfants ce qui va les affecter. D’ailleurs la polygamie est interdite à un homme qui n’a pas les moyens. Quel homme sénégalais le respecte ?

 Votre position par rapport à la commission onusienne qui recommande l'interdiction de la polygamie parce qu'elle considère que cette pratique est une discrimination vis à vis des femmes ?

Je suis tout à fait d’accord, ce n’est pas contre l’islam qui n’a pas inventé la polygamie. Tout ce qu’il a fait, c’est d’y mettre des restrictions.  La commission fait des recommandations en matière de droits de l’homme comme pour d’autres faits sociaux qui menacent l’équilibre familial, social et les droits des femmes libre aux États soucieux du bien-être de ses citoyen.nes de les mettre en place.

L’islam a posé des conditions pour la pratique de la polygamie qui est un choix si ces conditions ne sont pas respectées, il est interdit à l’homme de la pratiquer. Chaque pays peut la restreindre ou faire plus c’est à dire interdire carrément la polygamie.

C’est le cas de La Tunisie, pays musulman, son code des statuts personnels de 1957 interdit strictement la polygamie.

Il est interdit de contracter un second mariage avant la dissolution du premier. La majorité légale est à 20 ans, au Sénégal les filles sont discriminées 16 ans et 18 ans pour les garçons. A cet âge leur seule préoccupation devrait être les études et briser le cycle de la pauvreté.

Nous attendons vivement la réforme du code de la famille promise par le nouveau gouvernement sur l’âge légal du mariage et les droits des femmes.

La polygamie est considérée comme une discrimination par l’ONU, la commission des droits humains ainsi que par le comite pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Les Etats font bien des efforts sur la gouvernance, la démocratie pour recevoir des financements, ils peuvent le faire pour les droits des femmes, alors pour la polygamie, c’est possible et nécessaire.

Nous pouvons faire comme le Maroc qui ne l’a pas interdit mais le législateur marocain a instauré un système de contraintes pour contrôler la polygamie, limiter ses effets néfastes sur la société. Une enquête est menée. Son Code de la famille soumet la polygamie à l’obtention d’une autorisation. Il interdit la polygamie si l’injustice entre les deux épouses est à craindre ou si la première épouse a exprimé son refus dans l’acte de mariage.

Il dépend également des ressources financières du mari, de sa capacité à subvenir aux besoins de deux familles et de fournir un logement équitable aux deux épouses.

La capacité financière du mari à gérer un second foyer. La femme peut exiger la clause polygamique.

Il y a quatre écoles en islam hanafite, malékite, shafi’’ite et hanbalite et chacune d’elle a une position différente et valable. Dans le code sénégalais de la famille la femme peut par une clause de monogamie, exiger que son mari n’épouse pas d’autres femmes. Chez les malékites la clause monogamique ce n’est pas obligatoire mais recommandée.

La polygamie est un choix reconnu à l’homme qui a aujourd’hui des effets négatifs sur la société. Le pouvoir économique de l’homme pose d’épineux problèmes socio-économiques.

Les effets pervers de cette pratique sur la structure familiale amène l’ONU à dire que c’est une discrimination comme la Tunisie et le Maroc, le Sénégal devra le restreindre. Ce sera difficile vu que le nouveau gouvernement est un gouvernement de polygames.

Afin de poser les jalons un Conseil national pour la réforme du Code de la famille doit être mis en place pour discuter de toutes les discriminations légales et légalisées que subissent les femmes, les filles et les enfants sénégalais.

Awa Thiam a été la première à parler de la polygamie comme oppression. Dans son œuvre " La parole aux negresses publiée en 1972 elle dit " la polygamie est un fléau difficile à combattre...son maintien ou son abolition sera le fait des femmes. La foi en ces dernières à la possibilité de son enrayement, doublée d'un combat acharné et continu contre cette pratique oppressive pour elles, les amèneraient à une victoire."

Vous savez maintenant pourquoi les hommes sénégalais craignent d'avoir des femmes leaders !

 

Date de dernière mise à jour : 12/08/2024

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