Avec sa nouvelle loi de mobilisation, Kiev espère enrôler des combattants pour endiguer l'avance russe, lente mais réelle, dans l'Est du pays. Mais des milliers d'Ukrainiens préfèrent traverser un fleuve sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie, plutôt que de rejoindre les rangs de l'armée.
Traverser un cours d'eau pour fuir la guerre : des milliers d'Ukrainiens ont tenté l'expérience depuis le début de l'invasion à grande échelle du pays par Moscou en 2022. La rivière Tisza, qui marque la frontière entre le nord de la Roumanie et le sud-ouest de l'Ukraine, est aujourd'hui un point de passage de choix, exploité par des passeurs, et où au moins 22 personnes sont décédées en 2 ans, selon Ukrainska Pravda.
Le durcissement des conditions d'enrôlement
L'Ukraine vient de modifier ses règles de mobilisation, permettant de recruter des personnes de 25 ans minimum (contre 27 auparavant) et durcissant les mesures contre ceux fuyant la conscription. Mais les citoyens parvenant à fuir à l'étranger, s'ils risquent de perdre leurs biens, sont également protégés d'un enrôlement pour aller combattre l'envahisseur russe.
Kiev tente également de faire revenir ses ressortissants mobilisables : le pays va arrêter de renouveler ses passeports pour les hommes de 18 à 60 ans, qui devront revenir en Ukraine s'ils veulent obtenir un nouveau document.
Ces modifications risquent de pousser plus d'Ukrainiens à l'exil, alors que des centaines de milliers d'entre eux ont déjà quitté le pays depuis le 24 février 2022. À Velykyï Bytchkiv, ville au bord de la rivière, les gardes-frontières ukrainiens rapportent arrêter des personnes tentant de fuir presque tous les jours. Les autorités roumaines, de leur côté, parlent de plus de 6 000 personnes qui ont franchi la rivière depuis 2022, selon le New York Times.
Mais la rivière est moins facile à traverser qu'il n'y paraît : de nombreuses personnes passent par des matelas gonflables ou des embarquations de fortune, au-dessus d'une eau glaciale. D'autant que des passeurs en profitent pour établir un business lucratif : selon l'Ukrainska Pravda, ces derniers prétendent souvent avoir arrangé la traversée avec les autorités, avant de fournir un gilet de sauvetage ou une petite embarcation contre plusieurs milliers de dollars.
La Moldavie aussi concernée
Tout en travestissant la réalité : le chef des inspections frontalières de Velykyï Bytchkiv, Oleh Seleznev, a ainsi expliqué à Ukrainska Pravda qu'un homme exempté du service militaire avait tenté la traversée. Malgré son statut de tuteur d'une personne en situation de handicap, des passeurs l'ont convaincu qu'il serait également enrôlé de force.
La situation est similaire en Moldavie, où des Ukrainiens tentent de franchir le fleuve Dniestr : les autorités ukrainiennes ont arrêté mercredi 24 avril un homme de 39 ans tentant de franchir le cours d'eau avec son matelas gonflable, équipé d'un simple sac à dos. Ce dernier a utilisé un passeur à qui il a déjà versé la moitié des 4 200 dollars prévus, et encourt maintenant des sanctions pénales.
Benjamin Laurent