Migration : von der Leyen accélère face à l’impatience des États membres

Migration : von der Leyen accélère face à l’impatience des États membres

À deux jours d'un Conseil européen sous tension, Ursula von der Leyen tente de calmer le jeu. Dans une lettre envoyée lundi 14 octobre au soir aux 27 chefs d'État et de gouvernement, la présidente de la Commission européenne propose d'accélérer la mise en œuvre du pacte asile et migration, adopté en avril dernier.

Les coups de pression se sont multipliés depuis le Conseil JAI (Justice et Affaires intérieures) de jeudi dernier. Mais le plus fort est venu de la Pologne, samedi, lorsque Donald Tusk a réclamé la « suspension temporaire du droit d'asile ». Le pays fait face, depuis novembre 2021, aux franchissements illégaux orchestrés par son voisin biélorusse qui acheminent vers la Pologne des migrants recrutés en Orient. Une « instrumentalisation » du phénomène migratoire intolérable pour le Premier ministre polonais. La France, de son côté, annonce une nouvelle loi sur l'immigration tandis que les décrets d'application de la dernière ne sont pas encore tous publiés.

La Pologne monte au créneau

Les premières réponses emberlificotées de la Commission, lors du point de presse lundi midi, n'ont visiblement pas convaincu Donald Tusk. Ce dernier a rapidement réagi sur Twitter : « C'est notre droit et notre devoir de protéger les frontières polonaises et européennes. Leur sécurité ne sera pas négociée. Avec personne. C'est une tâche à accomplir. Et mon gouvernement accomplira cette tâche. » Un message qui sonne comme un avertissement à l'adresse de Bruxelles mais aussi de ses partenaires européens s'il advenait que certaines belles âmes tordent le nez. Parmi eux, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, le seul qui persiste à porter un regard humanitaire sur la migration. « Nous, les Espagnols, nous sommes les fils de l'immigration, nous ne serons pas les pères de la xénophobie », a-t-il lancé, le 9 octobre, devant les députés de son pays.

Dans sa lettre aux 27, Ursula von der Leyen reprend à son compte les craintes de Tusk. Elle pointe du doigt la Russie et la Biélorussie, accusées d'exercer « une pression sur la frontière extérieure de l'UE en instrumentalisant les migrants ». Pour faire face à cette « guerre hybride », elle annonce la création d'une task force spéciale, pilotée par le futur commissaire aux Affaires intérieures et à la Migration, l'Autrichien Magnus Brunner (qui sera auditionné le 5 novembre par le Parlement européen).

Des flux migratoires en mouvement

Cette initiative s'inscrit dans un paysage migratoire contrasté. Des améliorations sont perceptibles. Selon les chiffres de Frontex, les détections de franchissements irréguliers sur la route des Balkans occidentaux ont chuté de 77 % au cours des huit premiers mois de 2024, pour atteindre 14 669. Mais la menace persiste à l'Est. Sur la route de la Méditerranée centrale (Italie), les arrivées irrégulières ont chuté de 64 % au cours des huit premiers mois de 2024, pour atteindre 41 250. Ursula von der Leyen attribue cette baisse à l'intensification des opérations de gestion des migrations et de lutte contre le trafic exercé par les autorités libyennes et tunisiennes.

Autre point positif : les retours volontaires assistés depuis les pays d'Afrique du Nord vers les pays subsahariens d'origine ont bondi, passant de 5 000 en 2020 à plus de 17 700 fin août 2024. Mais tous les indicateurs ne sont pas au vert. Les arrivées aux îles Canaries ont augmenté de 123 % par rapport à la même période l'an dernier, dépassant les 25 500. Et, en Méditerranée orientale, les franchissements irréguliers vers la Grèce et Chypre ont augmenté de 39 % pour atteindre 37 163. En somme, les flux se déplacent vers les Canaries et la Grèce.

Le casse-tête des retours

S'il a fallu huit ans pour parvenir à boucler le pacte migratoire, combien de temps faudra-t-il pour le mettre en place ? Ursula von der Leyen promet d'accélérer la mise en œuvre du pacte, sans toutefois préciser de calendrier concret. Elle évoque vaguement une « gestion plus efficace » des systèmes d'enregistrement et d'accueil, une « meilleure gestion » des procédures d'asile à la frontière et l'introduction d'éléments du mécanisme de solidarité. Mais le flou persiste sur les aspects spécifiques à accélérer. La présidente insiste sur le maintien de l'équilibre entre solidarité et responsabilité, ainsi que les dimensions internes et externes qui ont été établies dans le pacte lui-même.

La refonte de la directive retour de 2008 est un autre serpent de mer à Bruxelles. Initialement proposée en 2018, la révision du texte n'a pas abouti. Au Parlement européen, le blocage est apparu sur les conditions du retour des mineurs non accompagnés. Ursula von der Leyen a bien reçu le message des ministres de l'Intérieur à la suite du Conseil JAI. Elle promet « un nouveau cadre juridique pour renforcer notre capacité d'action ». Il y a beaucoup à faire dans ce domaine puisque seuls 20 % des ressortissants de pays tiers sommés de quitter l'UE le font effectivement. Les chiffres sont encore plus bas en France.

Des centres de retour hors de l'UE

La présidente von der Leyen avance des pistes concrètes : numérisation de la gestion des dossiers, reconnaissance mutuelle des décisions de retour entre États membres. Elle évoque même l'idée controversée de « centres de retour » hors de l'UE. Là aussi, la pression exercée par le Conseil a fait bouger les lignes au sein de la Commission.

Reste à savoir si ces propositions suffiront à contenter les 27 ou si elles raviveront les tensions entre les pays de première ligne et les autres. Donald Tusk semble, quant à lui, bien décidé à agir seul, sans la bénédiction de quiconque.

Emmanuel Berretta

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 15/10/2024

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