Qui aurait pu prédire que la Seigneurie de Monaco et ses consœurs européennes, ces poussières d’Etats (1) que sont Andorre, le Liechtenstein et Saint-Marin – toutes enclavées – survivraient aux grands bouleversements de l’histoire,alors que de grands empires – Rome, Byzance, le Saint-Empire romain germanique, l’URSS ont disparu ?
Ces « pastilles » existent toujours en tant qu’Etats souverains, et en ont les compétences. Elles ouvrent même des ambassades et ont un siège dans le building de verre onusien de l’East River, à New-York, et dans de nombreuses organisations internationales. Monaco, qui semble se « dorer » la pilule aux pieds de la France, au bord de la Méditerranée, est l’une d’elles. La Principauté fait souvent parler d’elle dans les magazines spécialisés dans la vie des familles régnantes, et pour cause, les aventures, les turpitudes ou les bonheurs de la « smala » des Grimaldi, ont toujours intéressé le public des midinettes et des douairières, mais pas que….On a beaucoup jasé à propos de la disparition pendant de longs mois de la princesse Charlène, partie loin de son mari et de ses enfants, en Afrique du Sud, pays dont elle a, originellement, la nationalité. Tout semble rentré dans l’ordre dans le meilleur des mondes sur papier glacé
À l’origine, des « corsaires » !
Que de chemin parcouru depuis le 8 janvier 1297, lorsqu’un certain Francesco Grimaldi demanda l’asile pour lui et ses sbires – des « routiers », des mercenaires – tous déguisés en moines franciscains, à la forteresse tenue par les Gibelins, défenseurs du Saint-Empire romain germanique. En investissant par la ruse le Rocher de Monaco, les Grimaldi, famille partisane du camp des Guelfes – celui du pape, opposé aux Gibelins du Saint Empire romain germanique – se vengeaient d’une défaite cuisante qu’ils venaient de subir par les clans opposés des Spinola et Doria. Depuis l’histoire a roulé sa bosse…
La SBM, la « pieuvre »
Bien plus petite que la ville américaine des mariages, Las Vegas, s’étirant dans le désert du Nevada, moins peuplée qu’un bourg chinois ou qu’un bidonville indien, la Cité-Etat de Monaco, avec ses 38 000 habitants dont un peu plus de 8000 ont la nationalité monégasque, rayonne bien au-delà de la Méditerranée par toutes les manifestations voulues par ses princes, qui lui donnent un éclat de capitale. Oui, Il faut dire que ses souverains contemporains, qui ont un certain talent pour faire « mousser » leur État, n’y sont pas étrangers, et que cette Principauté doit sa célébrité à sa famille régnante, les Grimaldi. La vie de ses membres, tout au long des XX ème et XXI ème siècles, n’a pas toujours été « un long fleuve tranquille ». Le très glamour couple princier formé par Rainier III et la princesse Grace, née Kelly – star du cinéma américain des années cinquante – a beaucoup contribué à cette renommée internationale. Tous deux participèrent à faire connaître leur petit territoire bien au-delà de la « grande bleue ». Leur fils, le prince Albert II semble continuer sur cette lancée. Mais, au cœur de cette microscopique Principauté – « Elle a tout d’une grande » avec son appareil d’Etat et ses forces de sécurité – il y a une entreprise, la Société des Bains de Mer, la SBM, une « pieuvre » économique, qui n’est pas étrangère à la permanence et à la célébrité de Monaco. Cette firme, dont la famille princière est actionnaire, est le plus gros employeur de Monaco, et s’infiltre dans tous les secteurs économiques de ce petit pays, à commencer par « l’industrie » du jeu et l’hôtellerie.
Un pays d’immigrés… fortunés !
Qu’en est-il aujourd’hui de l’existence et de l’indépendance de ce confetti ? Lovée dans un amphithéâtre, complètement enclavée en territoire français depuis que Roquebrune et Menton ont fait sécession au XIX ème siècle, la Principauté s’agrandit en hauteur avec ses tours, ou gagne sur la mer son espace vital, avec ses nouveaux quartiers, « pieds dans l’eau », comme à Fontvieille. Monaco, à l’exception du Qatar et des Emirats arabes unis, est sans doute le pays qui compte le plus d’immigrés au monde, proportionnellement à sa population. Mais si cette immigration est une plaie pour certains Etats comme la France ou l’Italie, pour Monaco cette « invasion » pacifique et quotidienne est, elle, une chance pour ses activités industrielles, commerciales et touristiques. Si « fric », frime et luxe sont inséparables de l’image que donne la Principauté à l’étranger – « Smicar » passez votre chemin, les prix astronomiques de l’immobilier ne sont pas pour vous ! – l’investissement de ses princes dans des causes écologiques et humanitaires, est indéniable, et redore le blason de la maison régnante. Cette dernière fait le bonheur d’une presse mondaine spécialisée dans les têtes couronnées. Monaco, il est vrai, a tout pour plaire à la jet-set mondialisée, et nombre de fortunes s’y sont installées. Si l’OCDE a reconnu du bout des lèvres, que la Principauté n’était plus un paradis fiscal, l’Union européenne, pour sa part, la regarde avec suspicion. L’impôt sur le revenu est inconnu – à l’exception des résidents français, suite à un bras de fer entre De Gaulle et Rainier III, en 1962 – et le climat fiscal y est des plus clément. La Principauté attire pour mettre ses sous à l’abri, mais pas seulement : ici, il fait soleil 300 jours par an, et pas d’agressions au couteau pour un mauvais regard, une cigarette ou une pièce refusée. La police et ses caméras, omniprésentes, veillent, sécurité maximale ! De nombreux sportifs médaillés, hommes d’affaires et autres vedettes du « Showbiz », y ont élus domicile. Si l’on en croit les statistiques, le Rocher et les quartiers environnants, compteraient le plus fort pourcentage de millionnaires au monde – vieilles fortunes comme « nouveaux riches » – avec 31,1 %, soit un habitant sur trois ou presque !
Une « Principauté d’opérette », vraiment ?
Avec ses cérémonies, son apparat, ses manifestations culturelles et sportives de renommée mondiale – rallye de Monte-Carlo, Grand prix de formule 1, Festival international du cirque – son agglomération hérissée de gratte-ciel, sa rade peuplée de yachts pour milliardaires, et sa jet-set dégoulinante de fortune, cette Cité-Etat fait tout pour ne pas être, ce que Rainier III détestait entendre, une « Principauté d’opérette ». Car tous ces petits Etats, ces souverainetés hors de l’Union européenne, faisant charnellement partie de la vieille Europe, sont des vestiges. Certes, des vestiges de la féodalité, mais des survivants d’une époque où l’uniformité ne l’avait pas encore emporté sur la singularité. Différentes, ces républiques, ces Principautés, ces enclaves le sont, et très attachées à leur spécificité territoriale, même si elles apparaissent, sur la carte, bien microscopiques. Et ne dîtes pas à un Monégasque qu’il est Français, ou à un Andorran que c’est un Espagnol qui parle catalan, pas plus qu’un habitant de San-Marino n’est un Italien !
« Un zoo de super riches » ?
Alors, Monaco un « Etat bidon », une Principauté de pacotille, une cité mirage – sorte de petit Las Vegas ou de Bénidorm en moins vulgaire – ou un « zoo de super riches, un peu décontractés de la réalité », comme le déclarait Nicolas Cuche, scénariste et réalisateur du film « Pourris gâtés », cité dans le magazine « Télé 2 semaines » ? Que se cache-t-il derrière la carte postale ? Des scandales financiers, des amours contrariés ou des romances réussies, une flambée de naturalisations ? Il y a une histoire, une histoire faite, ici comme partout, de « bruit et de fureur »,- c’est Dallas sous les palmiers !- des ambitions contrariées et des projets réussis. Et puis, des gens simples comme de richissimes célébrités, qui constituent un petit peuple provençal très attaché à ses racines et à ses princes. Alors in fine, qu’est-ce donc que ce Rocher et sa verticale excroissance, Monte-Carlo ? Une famille ? À l’origine, on l’a vu, des soudards déguisés en moines, s’emparant, épée à la main, de leur fief…Ils eurent une nombreuse descendance. Ses actuels héritiers règnent sur un tout petit empire fait de « strass et de paillettes », qui est un phare somptueux au bord de la Méditerranée. Tant que le soleil brillera, cet univers de luxe existera, et ses princes sauront lui donner un pertinent éclat.
Georges-Alexandre SADROL