Ce jeudi 4 juillet, nos voisins d'outre-Manche éliront leurs députés lors de leurs élections législatives. Un scrutin qui pourrait être particulièrement favorable aux travaillistes du parti Labour. Le Labour, un Nouveau Front populaire britannique ? Pas vraiment. Le grand parti de gauche anglais a abandonné certaines de ses positions pour une politique bien plus nuancée.
Alors que les conservateurs sont au pouvoir depuis quatorze ans - ils occupent, actuellement, 365 sièges du Parlement sur un total de 650 -, tout pourrait changer, le 4 juillet. Le Parti travailliste est crédité de vingt points d’avance dans les sondages et obtiendrait, selon un sondage YouGov, 425 sièges, contre seulement 108 pour le Parti conservateur. Selon l’institut Savante, le ministre Rishi Sunak lui-même pourrait être battu dans sa circonscription, ce qui serait une première. Cet institut prédit 516 sièges au Labour et 53 aux conservateurs.
Les travaillistes reprochent aux conservateurs… une immigration excessive
Il y a quatre ans, le Labour était bien loin de ces espoirs. Lorsque Keir Starmer arrive à la tête du parti, il y remplace Jeremy Corbyn, réputé très à gauche. On reprochait à Corbyn, par exemple, son refus de chanter l’hymne national à l’occasion d’une messe commémorant la bataille d’Angleterre. Keir Starmer, lui, est considéré comme un patriote ambitieux, deux valeurs traditionnellement classées à droite qu'il ne met pas dans sa poche. Il pavoise, ainsi, son matériel de campagne de drapeaux du Royaume-Uni ou affirme, dans son clip de campagne, que « la Grande-Bretagne est un pays grand et fier ». Résultat : Keir Starmer a renversé la vapeur et permis au Labour de récupérer les déçus du Parti conservateur. Certains élus ont même franchi le Rubicon. Dan Poulter, qui fut député conservateur de Central Suffolk et North Ipswich, critique sur le délitement du système de santé britannique, est, depuis, passé chez les travaillistes.
Le plus étonnant, dans le programme du Parti travailliste, est peut-être sa position sur l’immigration. Il déplore, ainsi, les « records » atteints, en ce domaine, par le Parti conservateur et annonce vouloir réduire les arrivées en s’attaquant principalement aux passeurs clandestins. Il veut, aussi, mettre fin à l'appel d'air migratoire de ce qu'on appelle, en France, les « métiers en tension » : « La politique d’immigration du Labour réduira la dépendance (du Royaume-Uni) à l’égard des travailleurs étrangers, remédiera aux pénuries de compétences d’origine locale et garantira que le travail pénible soit récompensé par des salaires et des conditions convenables [afin d'être plus attractif] », explique le parti de la gauche anglaise. Selon le Parti travailliste, mieux vaut améliorer les conditions de travail et le niveau de revenu des Britanniques plutôt que d’accueillir des migrants en nombre, et mal.
Un programme économique qui plaît aux chefs d’entreprise
Toutefois, pour parler au peuple de droite britannique, il faut donner des gages économiques. En 2023, lorsque le Parti travailliste était en tête des sondages, les chefs d’entreprise de l’autre côté de la Manche faisaient grise mine. Les règles d’embauche, de licenciement et de rémunération changeraient-elles ? Devraient-ils revoir les conditions de travail de leurs employés ? Bref, adapter leur mode de fonctionnement à des exigences moins compatibles avec la croissance de leurs entreprises ? Un an après, il semblerait que non. Différentes interviews montrent que les patrons sont nombreux à faire confiance au parti des travailleurs.
La raison de ce revirement ? Le travail de funambule mené par Keir Starmer. Parmi les mesures annoncées, on trouve, notamment, l’interdiction des contrats d’exploitation à durée indéterminée, la fin des « licenciements et réembauches » et l’augmentation du salaire minimum, qui deviendrait un « véritable salaire de subsistance » et ne dépendrait plus des tranches d’âge. Le parti prévoit également de nouveaux droits concernant les congés parentaux, les indemnités de maladies et la protection contre les licenciements abusifs. Enfin, certaines lois anti-grève pourraient être abrogées. Des propositions qui n’inquiètent pas beaucoup les grands patrons britanniques : ils estiment qu'ils remplissent déjà ces exigences. Le Labour, en revanche, ne prévoit pas d’augmenter l’impôt sur les entreprises ou celui sur le revenu. Il compte augmenter les recettes fiscales en luttant contre la fraude.
Profitant des erreurs du Parti conservateur, le Parti travailliste, grâce à un chef apprécié de la droite et des mesures moins radicales, semble bien parti pour reconquérir un pouvoir qui lui échappait depuis longtemps. La gauche qui gagne au Royaume-Uni est à des années-lumière de la gauche qui perd... en France.
Adélaïde Motte