La France a eu beau faire semblant, l’affaire est désormais à peu près claire : les États européens n’auront probablement pas d’autre choix que d’appliquer l’accord commercial entre Bruxelles et les pays du Mercosur, cet ensemble commercial dont nous avons appris l’existence en cours d’histoire-géographie mais qui, à l’époque, nous semblait quelque chose de très lointain. Évidemment, pour préserver (avec un sens de la comédie de plus en plus émoussé) les apparences de la souveraineté nationale, le président de la République et son éphémère gouvernement ont tempêté, se sont mollement révoltés, ont affirmé qu’en l’état, ce traité n’était pas satisfaisant. Mais, comme l’a très justement dit, il y a plusieurs mois, le vice-président de la Douma russe, Piotr Tolstoï : « On s’en fout, de Macron ». Une remarque que presque n’importe quel chef d’État peut désormais faire sienne, tant le Président jupitérien a fait dégringoler l’image de ce qu’il nous restait de régalien.
Hilare, Mme von der Leyen
On s’en fout, donc, de Macron - Piotr Tolstoï comme Ursula von der Leyen. Pour preuve, ce visage hilare et assez inquiétant au moment des photos avec les dirigeants du Mercosur, tout le monde se tenant par la main, et cette dame, élue par personne, représentant l’avenir de 27 pays d’Europe. Et puis Ursula von der Leyen, ne pouvant pas se contenter de photos, a tweeté, avec ce goût de la pédagogie propre aux grands dictateurs, ces quelques lignes (que nous traduisons grossièrement) : « Atterrissage en Amérique latine. La ligne d’arrivée de l’accord UE-Mercosur est en vue. Au travail, franchissons-la. Nous avons l’occasion de créer un marché de 700 millions de personnes. Le plus grand partenariat de commerce et d’investissement que le monde ait jamais connu. Les deux régions en bénéficieront. »
Peu après, elle tweetait de nouveau, parlant d'« une victoire pour l'Europe », d'« un accord gagnant-gagnant ». On reste pantois devant une telle autosatisfaction. Cet accord UE-Mercosur ne profitera évidemment pas à tout le monde. Il menace directement, par exemple, nos propres agriculteurs, qui l’ont bien compris en reprenant la route, ces dernières semaines. Il menace également les consommateurs, puisque les normes d’élevage ne sont pas du tout les mêmes en Amérique latine et que le Brésil, par exemple, autorise l’utilisation d’hormones de croissance pour son bétail. Un continent qui a connu la maladie de Creutzfeldt-Jakob devrait-il se hasarder à faire à nouveau ce genre d’expérimentation grandeur nature ?
L'UE de dimension messianique
Et puis, au-delà de cette obscène autosatisfaction, qui est ce « nous » dont parle notre cheffe à tous ? Est-ce un « nous » de majesté ou un « nous » de modestie ? Ou rien de tout ça ? Mais au nom de qui, exactement, cette dame parle-t-elle ? Ce n’est pas au nom de tous les Européens, puisqu’elle n’a rien à faire de leur avis et ne peut pas ignorer que plusieurs États membres s'opposent à cet accord. Non. Ce « nous », il faut bien en convenir, désigne la petite brochette de chefs d’État latino-américains avec qui elle a été prise en photo… et elle. C’est tout. Et quand on ajoute à cet amour de l’oligarchie une déclaration messianique terrifiante (« Le plus grand partenariat de commerce et d’investissement que le monde ait jamais connu »), on se dit qu’on est en pleine tyrannie. Il n’y manque rien, ni le mépris pour le peuple, ni les discours grandiloquents destinés à résonner dans l’éternité.
Mme von der Leyen, cependant, n’est pas seule responsable. Elle n’est riche que de l’espace qu’on lui laisse. Et en France, avec un pouvoir absent, un Président déconnecté, des structures étatiques délabrées, un roman national jeté aux orties, on lui en laisse, de l’espace - là aussi, c’est peut-être la plus grande démission française que le monde ait jamais connue !
Arnaud Florac