La nasse de manifestants en 2010 à Lyon a été jugée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) comme une violation de la liberté de circulation et de réunion.
Les gilets jaunes, opposants à la réforme des retraites et autres manifestants en ont fait les frais au cours des dernières années. La France a été condamnée jeudi 8 février, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pour une « nasse policière » menée sans base légale en 2010 à Lyon, une technique d’encerclement des manifestants.
C’est la première fois que la France est condamnée pour cette pratique, selon une source au sein de la Cour.
La CEDH note cependant que si l’utilisation d’une nasse policière était dépourvue de cadre légal à l’époque des faits, il y a près de 15 ans, le ministère de l’Intérieur a depuis publié un nouveau schéma national de maintien de l’ordre (SNMO), en décembre 2021, qui encadre cette technique.
L’affaire concerne l’encerclement de nombreux jeunes manifestants, dont les douze requérants, pendant plusieurs heures par les forces de l’ordre sur la place Bellecour à Lyon, le 21 octobre 2010, durant une manifestation contre un projet de loi sur la réforme des retraites.
« Casseurs »
À l’époque, la préfecture du Rhône avait évoqué la présence de « casseurs » pour justifier l’action. « Ce sont des personnes qui, de manière collective, ont montré une certaine dangerosité », avait alors expliqué lors d’une conférence de presse, Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique, justifiant le choix de « figer » les manifestants pour une « opération globale de contrôle d’identité ».
La plainte avec constitution de parties civiles déposée entre autres par les requérants avait débouché sur un non-lieu.
Dans un communiqué résumant son arrêt, la Cour basée à Strasbourg rappelle que « toute mesure restreignant » les libertés de circulation, d’expression et de réunion pacifique, garanties par la Convention européenne des droits de l’homme, « doit être prévue par la loi ».
Or, « le cadre juridique général relatif au maintien de l’ordre, en vigueur à la date des faits litigieux, ne saurait être regardé comme définissant un cadre d’emploi de la technique de l’encerclement suffisamment précis pour constituer une garantie contre le risque d’atteintes arbitraires » à ces libertés, pointe la juridiction européenne.
En clair, « le recours par les forces de l’ordre à la technique de l’encerclement », communément appelé « nassage », « n’était pas, à la date des faits, prévu par la loi ».
Possibilité de sortie
Depuis, la France a revu cette pratique, extrêmement contestée ces dernières années, particulièrement lors de la crise des gilets jaunes et des manifestations contre la réforme des retraites.
En décembre 2021, le ministère de l’Intérieur a ainsi publié une nouvelle version complète du SNMO dans lequel il justifiait le recours aux « nasses » pour « éviter le recours à des techniques de maintien de l’ordre pouvant présenter des risques supérieurs d’atteinte aux personnes ».
Cette technique « doit, dès que les circonstances le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé » et ne doit être mise en oeuvre « que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée », stipule le document.
La possibilité offerte aux manifestants de quitter la zone d’encerclement « doit constamment être réévaluée avec discernement », insiste-t-il encore.
« Victoire de principe »
Quelques mois plus tôt, en juin de la même année, le Conseil d’Etat avait déjà infligé un désaveu au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en annulant plusieurs dispositions du SNMO présenté en septembre 2020, notamment celles concernant « la nasse ».
Dans l’affaire de Lyon, la Cour constate plusieurs violations de la convention, dont celles relatives à la liberté de circulation, de réunion et d’association.
Estimant que l’encerclement « a méconnu les libertés de circulation et de réunion pacifique des requérants (...) empêchés de prendre part à une manifestation », elle a condamné la France à verser à l’ensemble des requérants la somme de 1.714,28 euros pour frais et dépens.
L’avocat des requérants, Me Patrice Spinosi, a salué dans une réaction transmise à l’AFP « une victoire de principe qui démontre que l’usage de la pratique des nasses ou de ’l’encerclement’ (...) était illicite en France avant l’entrée en vigueur du schéma national du maintien de l’ordre en décembre 2021 ».
« Selon la CEDH, le fait que cette pratique soit désormais encadrée n’équivaut pas à blanc-seing pour les forces de l’ordre. Elle juge que l’usage disproportionné du ’nassage’ est susceptible de porter atteinte non seulement à la liberté d’aller et venir mais encore à la liberté d’expression », analyse encore Me Spinosi.
La Rédaction avec AFP