Pour mieux comprendre le mouvement des gilets jaunes, Julien Théry a demandé à trois spécialistes de porter sur la mobilisation actuelle leurs regards d’historiens des soulèvements populaires et des révolutions. Il a donc reçu Alain Hugon, historien de l’Ancien Régime, Marc Belissa, historien de la Révolution française, et Michèle Riot-Sarcey, historienne du XIXe siècle.
L’apparente spontanéité et le déclenchement sur des mots d’ordres anti-fiscaux, de même que le rejet des privilèges et de la domination de caste, forment des points communs avec les jacqueries et les autres soulèvements populaires qui ont scandé l’histoire de l’Occident, du Moyen ge au XVIIIe siècle. Mais le mouvement de novembre-décembre 2018 se situe dans un tradition de forte politisation populaire inaugurée par la Révolution française, en particulier par le mouvement des sans-culottes. Comme aux temps les plus anciens, « l’économie morale de la foule » déclenche et justifie la révolte lorsque des valeurs supérieures à celles de la légalité, centrées sur le droit à l’existence dans la dignité, sont transgressées. L’héritage révolutionnaire, cependant, s’exprime clairement avec l’exigence d’une représentation politique qui ne soit pas seulement légale, c’est-à-dire conforme aux procédures constitutionnelles, mais qui soit aussi légitime, c’est-à-dire effectivement représentative des représentés. Le désir de démocratie, au sens plein du terme, donne au mouvement des gilets jaunes une dimension de resurgissement de la puissance populaire qui a fait les Révolutions de 1830 et 1848, avant d’être à l’œuvre dans la Commune de Paris (1871). La place des femmes dans les mobilisations, aujourd’hui comme hier, est emblématique de l’aspiration à une émancipation universelle encore inachevée.
Montage Nathalie Heydel, motion design Kilian Le Dantec.
Une émission de Julien Théry.
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